En dix années de crise, l’Union européenne a perdu beaucoup de sa superbe. Il n’y a pas si longtemps modèle d’intégration, de prospérité et de paix inspirant confiance et respect au niveau international, elle est aujourd’hui acculée de toute part. Sans sombrer dans le défaitisme lyrique des prédicateurs modernes qui annoncent sa fin imminente, les européens sont en droit de s’inquiéter du sort de leur Union qui fêtera les 60 ans de son traité fondateur (traité de Rome) le 25 mars prochain. Le référendum britannique aurait dû faire réagir immédiatement les élites des 27 pays restants mais c’est le statu quo qui prévaut dans l’attente qu’un consensus miraculeux émerge un jour. Notre union purement économique, sans vision commune de la politique étrangère et dont la défense repose de fait sur la bienveillance américaine, n’est pas à la hauteur face à des puissances étrangères ambiguës qui n’ont jamais vu d’un bon œil la construction européenne et savent parfaitement exploiter ses failles.
A l’est, on assiste au retour de la « grande Russie » sur la scène internationale. Avec un PIB légèrement supérieur à celui de l’Espagne pour quatre fois plus d’habitants, ce pays continent accuse un retard économique certain. Il n’en demeure pas moins qu’il dispose de nombreux leviers : une armée puissante, le contrôle d’une grande partie de l’approvisionnement européen en pétrole et en gaz, un système de propagande très influent ainsi qu’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Vladimir Poutine veut laver l’honneur des années qui ont suivi la chute de l’URSS. L’intégration de ses anciens satellites (Pays Baltes, Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie et Bulgarie) à l’UE et leur adhésion à l’OTAN ont été vécus comme une trahison. La guerre en Ukraine n’est que la suite logique de ce que les dirigeants russes considèrent comme une humiliation imposée par les occidentaux. En annexant la Crimée, Poutine a mis un terme à l’expansion européenne vers l’est et a surtout montré que l’Occident n’était pas prêt à entrer en conflit avec lui. Cela a ravivé les peurs de pays comme la Pologne ou les Etats baltes qui se demandent légitimement si leur appartenance à l’UE est véritablement un gage de protection. Est-ce que la France, principale armée du continent depuis la sortie du Royaume-Uni, entrerait en guerre contre la Russie en cas d’invasion de la Pologne ? Sur le papier oui, dans les faits rien n’est moins sûr. Le président russe est par ailleurs passé maître dans l’art de jouer avec les possibilités qu’offrent le système démocratique européen. Sa connivence avec les partis populistes et l’entrée en action de sa cyber-armée n’ont pour objectif que de torpiller le projet européen de l’intérieur, à moindre frais.
En méditerranée, les relations de voisinage continuent de se détériorer. La Libye et la Syrie sont en guerre civile depuis 2011 ce qui a bouleversé les flux migratoires vers le vieux continent. Les relations opaques avec les dictatures militaires algérienne et égyptienne n’engendreront rien de positif sur le long-terme. La plus grande inconnue reste néanmoins la Turquie, véritable rempart montagneux avant d’atteindre l’Europe via le détroit du Bosphore. Lassé des positions ambivalentes des européens quant à son éventuelle adhésion à l’Union, le pays a aujourd’hui pris ses distances avec ses anciens alliés. Le tout puissant président Erdoğan joue sa propre partition en se rapprochant de la Russie au détriment de l’OTAN dont la Turquie est pourtant membre. Face à l’afflux de migrants des deux dernières années, les dirigeants européens ont délibérément choisi de faire fi de toute moralité en acceptant la politique autoritaire d’Erdoğan en échange de l’arrêt des traversées clandestines à destination des îles grecques. Ce marchandage dangereux place le président turc en position de force pour faire pression sur une Union européenne prise au piège d’opinions publiques de moins en moins conciliantes avec l’accueil des réfugiés.
Encerclée par des voisins qu’elle ne contrôle plus, l’UE comptait sur son alliance de destin avec les Etats-Unis qu’elle pensait inébranlable jusqu’à l’élection de Donald Trump. Le nouveau mandataire de la Maison Blanche n’a pas attendu son investiture pour se réjouir du Brexit, annoncer que d’autres pays suivraient les pas du Royaume-Uni et remettre en cause publiquement l’engagement de son pays en Europe au travers de l’OTAN. Même s’il semble peu probable que l’Amérique abandonne son premier marché à l’exportation, Trump a bien conscience qu’une Europe forte et unie représente une menace pour la suprématie américaine (l’UE est la première puissance commerciale au monde). Dans cette optique, il n’est pas illogique qu’il cherche à l’affaiblir politiquement pour qu’elle ne puisse pas contrebalancer l’hégémonie américaine sans pour autant remettre en cause les échanges économiques vitaux pour les deux rives de l’Atlantique.
L’Union européenne est donc dans l’obligation de réagir si elle ne veut pas subir des événements qui la mèneront sûrement vers la désintégration. La position du spectateur passif qui s’alignait sur les décisions du grand-frère américain assurant en contrepartie sa protection face à un voisinage complexe est remise en cause. Le départ du Royaume-Uni, la non amélioration de la situation économique des pays du sud, l’intransigeance ordo-libérale allemande, la crise des réfugiés, la montée des populismes en tout genre et le terrorisme font craindre le pire. Pourtant, ce sont dans ces moments de désarroi, où tout parait perdu d’avance, que peuvent germer certains consensus fondateurs pour l’avenir. Il est grand temps de nous débarrasser de nos œillères afin d’avoir pleinement conscience que nous ne pouvons désormais compter que sur nous-mêmes. L’Union européenne a besoin d’assurer sa défense si elle ne veut plus dépendre du bon vouloir de ce si fidèle allié qui semble aujourd’hui lui tourner le dos. Il en va de sa survie face à des puissances gouvernées par des personnalités dont on peut légitimement attendre le pire.
Christophe Chabert
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