Cette carte vient illustrer l’interview de Renaud Girard, grand reporter de guerre au Figaro, réalisée le 26 septembre 2018 sur le thème « Vers une nouvelle diplomatie française ». Le texte qui suit est une synthèse de cet entretien.
Il paraît loin le temps où l’Europe occidentale dominait le monde et disposait de l’ensemble des leviers de la puissance : économique, politique, militaire, culturelle, diplomatique. Son auto-suicide lors des deux conflits mondiaux a entraîné une passation de pouvoir brutale vers les États-Unis d’Amérique devenus maîtres du « monde libre » à partir de 1945 puis « hyperpuissance hégémonique » au moment de la chute de l’URSS en 1991.
Pourtant, les chancelleries européennes, plus particulièrement française et britannique, ont conservé une forte influence et ce pour deux raisons. Premièrement, les forts liens développés durant des siècles n’ont pu être effacés du jour au lendemain. Les réseaux diplomatiques ont survécu à la destruction matérielle engendrée par les guerres. Deuxièmement, l’attribution de sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies a été une aubaine pour conserver une influence décisive dans les affaires du monde. Européens et américains avaient tout à y gagner dans le cadre de la guerre froide.
La France dispose du deuxième réseau diplomatique derrière les États-Unis. Elle est en mesure de proposer une vision propre, d’être un allié indépendant capable de négocier et d’influencer les décisions. Le refus de participer militairement à la seconde guerre du golfe en 2003 est peut-être la dernière fois où la France a démontré qu’être allié ne signifiait pas une confiance aveugle dans les décisions américaines.
Depuis cet épisode, le prestige diplomatique français a perdu de sa superbe. La peur des représailles, principalement économiques, des États-Unis en est une des raisons. Il suffit de constater avec quelle rapidité les entreprises françaises ont été sommées de suspendre leurs activités en Iran pour entrevoir le poids de ce que l’on nomme « l’extraterritorialité du droit » américain. En outre, notre diplomatie semble de plus en plus se fourvoyer en prenant des décisions qui manquent cruellement de réalisme.
Deux exemples permettent d’illustrer cette tendance. Tout d’abord, l’intervention en Libye de 2011. Comme le souligne Renaud Girard, « Kadhafi était détestable à plus d’un titre, avait beaucoup de défauts mais disposait de trois avantages : la renonciation à l’arme nucléaire, la lutte contre les trafics d’êtres humains et le combat contre l’islamisme ». Les occidentaux ont pensé pouvoir créer une Libye démocratique et ont totalement omis le fait qu’il existe des formes bien pires que la dictature politique : la guerre civile et le chaos. Ils en payent le prix aujourd’hui. Une autre marque du manque de réalisme des chancelleries européennes provient de la Russie. La politique de sanctions économiques suite aux événements ukrainiens est compréhensible mais semble inutile. Sur le moyen et le long-terme, nous devrons travailler avec ce grand voisin et tenter de le rallier à la stratégie européenne. Ce ne sont pas des sanctions qui feront changer un pays « qui a résisté plus de 1000 jours au siège de Leningrad par l’armée nazie ».
Renaud Girard appelle donc à une prise de conscience rapide des décideurs français et à un retour au réalisme gaullien. Charles de Gaulle a toujours été du côté des États-Unis lorsque se produisaient des crises graves (Berlin en 1961, Cuba en 1962). Mais il savait également critiquer la politique américaine (guerre du Vietnam, privilège exorbitant du dollar) et prendre ses distances (reconnaissance de la République populaire de Chine en 1964, retrait du commandement intégré de l’OTAN en 1966). Loin d’ostraciser la France sur la scène internationale, les positions gaulliennes inspiraient le respect. « La France est aujourd’hui dans une position médiane, elle connait bien les nations et peut redevenir un aiguillon positif dans la sphère occidentale ». Afin d’y parvenir, elle devra avoir le courage de ne pas toujours s’aligner sur les positions américaines, l’objectif étant de devenir un intermédiaire sincère (« honest broker »). Pour cela, elle devra cesser de donner des leçons de morale au monde entier, leçons qui ne sont plus écoutées par personne, et comprendre qu’elle ne pourra rayonner que par son propre exemple. Redevenir exemplaire est la condition sine qua none pour espérer que son discours soit de nouveau respecté voire admiré. Pour la France, il n’est plus possible d’influencer l’extérieur sans être soi-même irréprochable. Ce privilège est désormais réservé à d’autres puissances.
Le retour au réalisme est donc une urgence pour notre diplomatie. Sans un changement de paradigme, il nous sera difficile de répondre aux deux principaux dilemmes qui se présentent : donner un nouveau souffle à la construction européenne sans laquelle le vieux continent semble condamné à la relégation (face au double hégémonisme chinois et américain) et la mise en place d’une stratégie occidentale concertée, de long-terme qui permettent de contrebalancer le projet Belt and road initiative de la Chine. Le « grand match » américano-chinois a déjà commencé. Reste à la France et aux européens de s’y préparer rapidement, en toute lucidité en mettant de côté l’affect et la nostalgie de la grandeur passée.
Propos recueillis et synthétisés par Christophe Chabert
Carte : Christophe Chabert
Lien vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=esPDQpVx-9c&feature=youtu.be
Emmanuel Heurtematte
Monsieur Chabert,
J’ai découvert votre site hier (18/11/17) par l’intermédiaire de l’émission « Affaires Etrangères » diffusée sur France Culture et je souhaite simplement vous féliciter pour avoir créé ce site et y publier des cartes qui ont le mérite de synthétiser et de rendre immédiatement accessibles au citoyen lambda (que je suis) des problèmes de géopolitique et de géostratégie dont il est souvent bien difficile de comprendre les tenants et les aboutissants. J’espère que vous continuerez à publier et à nous informer régulièrement sur ce site.
Encore merci!
Christophe Chabert
Merci Emmanuel. Si MindTheMap vous apporte de la connaissance, alors je suis le plus heureux!