J’ai eu le plaisir d’assister à une conférence passionnante organisée le 18 septembre dernier par le club HEC Géostratégies autour du thème « Menace djihadiste, quels risques ? quelles réponses ? » et animée par le Général Bonneau, ancien commandant du GIGN et Directeur de la sécurité diplomatique du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères depuis avril 2017. Je vous propose dans les lignes qui suivent un court compte-rendu des idées essentielles qui nous ont été délivrées.
Le Général Bonneau a commencé son exposé en reprenant une citation du célèbre stratège militaire chinois Sun Tzu que l’on peut résumer ainsi : aucune victoire n’est possible si l’on ne connait pas véritablement son ennemi. S’en suit un constat sans appel : le monde occidental a mis beaucoup de temps à réellement comprendre qui était son adversaire. Les organisations terroristes comme Al-Qaeda ont longtemps été considérées comme des structures centralisées que l’on pensait pouvoir anéantir en détruisant les centres de commandement ou têtes pensantes. D’un autre côté, on a estimé à tort que les attentats étaient systématiquement commis par des « loups solitaires » ayant perdu la raison. Ces erreurs de compréhension initiales n’ont pas facilité la réflexion sur les évolutions à donner à nos forces spéciales pour répondre au mieux à ce nouveau type d’attaques. Les hommes du GIGN étaient ainsi essentiellement entraînés pour répondre à des prises d’otage de masse avec négociations et non à des attentats suicides.
C’est à partir de 2013 que le Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale a commencé à mener une analyse profonde de l’ennemi pour comprendre ses motivations, ses modes opératoires et son organisation. Pour cela, il a fallu entreprendre une lecture systématique des textes de propagande qui sont légions sur internet et disponibles en libre-service depuis de nombreuses années. L’un d’entre eux est particulièrement riche en enseignement : « Appel à la résistance islamique globale » écrit en 2004 par Abu Moussab Al-Souri, proche de Ben Laden et architecte du djihad global. Cet intellectuel et stratège phare d’Al-Qaeda a immédiatement compris la nécessité de mutation de l’organisation suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Al-Qaeda devait selon lui se décentraliser au plus vite afin de pouvoir survivre dans le temps.
C’est Abu Moussab Al-Souri qui a théorisé la stratégie des « mille entailles » dont les grands principes sont les suivants :
- convertir des personnes aux idées de l’organisation dans les pays occidentaux et les utiliser afin de commettre des attentats dans leur propre pays
- épuiser peu à peu l’ennemi faute de pouvoir l’affronter directement dans une stratégie de sidération
- bannir le commandement central pour fonctionner en franchises
- utiliser une terminologie précise en singeant la mythologie et l’histoire musulmane pour attirer les adeptes (le tueur du Thalys était torse nu en évocation du héros Dhiraar bin Al-Azwar connu pour sa bravoure lors de la conquête de la Syrie par les armées arabes contre les Byzantins)
En se plongeant davantage dans les écrits de propagande, les services spécialisés de l’Etat ont peu à peu réalisé qu’ils se trouvaient en face d’une menace bien plus grande qu’il n’y paraissait. Des modes opératoires hyper détaillés sont rédigés afin que les apprentis djihadistes puissent les répliquer à la lettre. Ces documents, relayés en masse dans des magazine tels que Dabiq ou Inspire, vous apprennent à organiser un attentat réussi ou à confectionner une bombe artisanale. On vous fournit également des conseils pour toucher l’ennemi en plein cœur. Le tueur qui a fusillé les touristes britanniques sur une plage de Sousse avait sans doute eu accès à un document mettant en avant l’importance du tourisme pour l’économie tunisienne et les répercussions que pourraient avoir des tueries de la sorte. Les cibles sont également priorisées : les juifs, les policiers et militaires, les églises et enfin les grands événements sportifs ou culturels. Chaque attaque est en outre analysée comme un véritable retour d’expérience avec ses facteurs clés de succès et ses ratés à ne plus reproduire.
Toute la stratégie des organisations terroristes islamiques est de mener une multitude d’opérations mineures qui vont permettre d’entretenir la peur tout en préparant de grosses opérations ponctuelles comme les attentats de Paris qui posent des jalons. A chaque opération, l’objectif est de tuer un maximum de personnes durant le délai de 20 à 30 minutes nécessaire à l’arrivée des forces de l’ordre avant de se retourner contre ces mêmes forces de l’ordre. Et que l’on ne se trompe pas : il ne s’agit jamais de « loups solitaires ». Les attentats sont préparés minutieusement : les cellules de reconnaissance préparent le terrain et transmettent leurs informations à des comités militaires qui vont par la suite donner des ordres en temps réel aux djihadistes le jour J. Généralement, des manœuvres de diversion sont orchestrées afin d’éloigner les forces de l’ordre des cibles prioritaires (c’est le cas des attentats près du Stade de France en amont de la tuerie du Bataclan).
Réaliste, le Général Bonneau a reconnu qu’aucune solution miraculeuse n’existait de nos jours. Un grand travail a cependant été mené par l’Etat français depuis la tuerie de Charlie Hebdo. Les primo-intervenants (gendarmes et policiers en première ligne) ont été formés et équipés pour pouvoir intervenir au plus vite avant l’arrivée des forces spéciales. Le code pénal a été révisé afin de permettre aux forces de l’ordre de tirer sur un individu ayant commis un attentat sans avoir à invoquer la légitime défense. Le principe de l’ilotage (regroupement des citoyens français dans des zones spécifiques) a été renforcé à l’étranger.
Il reste cependant beaucoup à faire avant de parvenir à une doctrine de sûreté globale digne de ce nom. Les espaces publics doivent être repensés (en finir avec les centres commerciaux aux multiples entrées par exemple), la détection à l’école et dans l’entreprise devra s’améliorer car nos services de renseignement ne pourront jamais tout déceler.
Les défis qui nous attendent sont gigantesques tant la capacité d’adaptation et de renaissance des organisations djihadistes est forte. Nos sociétés ne pourront réagir que si elles acceptent de ne plus se croire supérieures et hors d’atteinte. C’est bien en se mettant à la place de l’ennemi, en tentant de le comprendre de la manière la plus précise possible et sans jugement de valeur, que nous pourrons déjouer efficacement ses tentatives meurtrières en toute lucidité.
Christophe Chabert
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