S’il y a un secteur qui n’a pas souffert de la crise économique mondiale c’est bien celui de l’armement. Selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), les dépenses militaires ont augmenté d’un tiers en 10 ans dans le monde pour représenter 1520 milliards d’euros. Dans ce marché en pleine croissance et de plus en plus concurrentiel, les gouvernants se sont peu à peu transformés en véritables VRP pour appuyer leurs champions nationaux à l’exportation. Face à l’opacité de ces transactions et le postulat bien dérangeant selon lequel les ventes d’armes à l’étranger ne font généralement que détériorer des situations déjà complexes, les puissants complexes militaro-industriels ont su développer des discours et stratégies bien rôdés, relayés par la presse et les décideurs, dans le but d’orienter l’opinion publique et de rester ainsi maîtres de leur destin.
Une technique très efficace consiste à créer un environnement médiatique largement positif autour de certaines exportations d’armes en mettant en avant les joyaux de la couronne comme les avions de chasse. Ils témoignent de la puissance technologique des sociétés qui les produisent et les Etats n’hésitent pas à les célébrer en grande pompe lors d’événements majeurs comme le salon du Bourget. Cette stratégie permet d’obtenir l’adhésion de nombreux citoyens en jouant sur différents sentiments : la fierté d’appartenir à une nation disposant de technologies ultra sophistiquées, la sensation d’être protégé en cas d’attaques extérieures et l’attrait certain pour tout ce qui est capable de destruction massive (attrait alimenté par les films de guerre et les jeux vidéo en grande partie). Le choix de la communication autour des produits stars de l’industrie de l’armement sert délibérément à impressionner les grands enfants que nous sommes tout en éclipsant le reste des ventes. On s’enorgueillie d’avoir décroché un contrat portant sur la livraison de dizaines de Rafale mais on ne fait jamais état des énormes commandes de fusils d’assaut, de munitions, de missiles etc. Quand des voix s’élèvent malgré tout, on s’empresse de nous rappeler que les exportations ont pour unique but d’assurer la « défense » de pays alliés, donc de confiance, et nullement de permettre à des Etats de mener des guerres ou des répressions. Face aux plus sceptiques, l’argument d’autorité de la lutte contre le terrorisme permet de clore le débat définitivement : circulez, la fin justifie les moyens !
Lorsque les stratégies d’image ne suffisent pas, il est toujours possible de compter sur le secours des logiques économiques. Les exportations ont en effet de nombreux avantages que les politiques et les industriels utilisent pour nous convaincre de leur nécessité absolue : elles offrent des relais de croissance qui aident à rentabiliser des filières très onéreuses et à étaler les coûts tout en réduisant les déficits commerciaux des Etats qui par la même occasion récupèrent de précieuses recettes fiscales. Il s’agit d’une mécanique imparable et toute personne cherchant à la remettre en cause serait considérée comme idéaliste, éloignée des réalités qui régissent le monde comme si l’avenir des grands pays producteurs reposait intégralement sur leurs ventes d’armement. Une nouvelle fois, il est aisé de bloquer les débats portant sur le contrôle plus strict de ces exportations ou même leur interdiction dans certains cas en se servant de la menace sur les emplois : que vont devenir les nombreux travailleurs du secteur si nous ne pouvons plus livrer des armes à l’Arabie Saoudite, au Qatar, au Pakistan, à la Chine, aux Emirats-Arabes-Unis, pays reconnus pour leur transparence et leur respect des droits fondamentaux ? Un autre argument régulièrement mis en avant par les industriels consiste à dire que s’ils arrêtaient leurs livraisons, d’autres pays s’en chargeraient à leur place et qu’il est donc inutile de se tirer une balle dans le pied. La ministre suédoise des affaires étrangères a bien tenté de faire interdire les exportations à destination de l’Arabie Saoudite mais a vite dû abandonner face à la puissance des arguments des lobbys.
Sur le front international, quelques avancées sont à souligner comme l’entrée en vigueur en décembre 2014 du traité onusien sur le commerce des armes (TCA). Il veut amener les Etats à « adopter des règles de comportement responsable, transparent et proportionné en matière de transferts d’armes conventionnelles (non nucléaire, chimique et biologique) ». On ne peut que saluer l’existence de ce texte même s’il n’a aujourd’hui qu’une portée symbolique : des pays comme les Etats-Unis, Israël, ou la Turquie ne l’ont pas ratifié alors que la Russie ou la Chine ne l’ont même pas signé. Dans une autre mesure, la réglementation sur le trafic d’armes au niveau international (ITAR) mise en place par les Etats-Unis et qui peut empêcher un vendeur de conclure un marché si le produit concerné contient des composants de fabrication américaine pourrait sembler aller dans le bon sens. Dans les faits, il s’agit surtout d’un moyen pour conserver la main mise sur les parts de marché en mettant des bâtons dans les roues des concurrents.
Habitués à la violence présente en permanence sur nos écrans et pris dans la spirale infernale de la peur d’autrui (choc des civilisations, lutte contre le terrorisme, état d’urgence), les sociétés du XXIe siècle ont signé un chèque en blanc à l’industrie de l’armement qui poursuit tranquillement ses objectifs capitalistes sans douter d’elle-même tant elle dispose de rhétoriques convaincantes contre ses détracteurs. Qu’arrivera-t-il quand les marchés seront enfin saturés ? On peut légitimement craindre des guerres qui permettront de créer une nouvelle demande en vidant les stocks existants N’oublions pas que la paix est la plus grande menace qui pèse sur ce secteur.
Christophe Chabert
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