L’heure de vérité de l’Europe allemande

Alors que l’Europe du sud peine à se remettre de la crise des dettes souveraines débutée en 2010, que le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne, que les pays de l’est sombrent de plus en plus vers les nationalismes populistes et que la France ne parvient pas à sortir de sa léthargie économico-identitaire, l’Allemagne ne s’est jamais aussi bien portée : plein emploi, stabilité politique, taux d’intérêt négatifs pour emprunter sur les marchés, excédents commerciaux records. Centre de gravité de l’UE tant politiquement qu’économiquement, ce pays a défendu ses intérêts et réussi à imposer sa vision des choses d’une main de fer. « L’UE est en réalité un instrument au service de l’Allemagne. C’est pourquoi je pense que le Royaume-Uni a bien fait d’en sortir », telle est la conclusion du nouveau président américain qui sur ce point n’est pas dénuée de tout fondement. Combien de temps encore une telle situation va-t-elle pouvoir durer ? Car l’Allemagne ne semble toujours pas prête à plus de compromis avec ses partenaires. Au contraire, elle estime que ces derniers doivent s’inspirer de son modèle vertueux qui est l’unique chemin possible et que les plus récalcitrants finiront bien par se mettre au diapason. Cette intransigeance, qu’elle relève de l’amnésie, de la naïveté ou de l’opportunisme, finira par avoir raison de l’Union si rien ne change.

Depuis la crise de 2008 qui ne s’est jamais véritablement terminée, Angela Merkel a fait le pari de l’orthodoxie budgétaire qui consiste en une maîtrise des niveaux de déficit et de dette publics plus particulièrement dans les pays de la zone euro (il s’agit des fameuses règles de Maastricht qui imposent un déficit public annuel inférieur à 3% du PIB et un niveau de dette inférieur à 60% du PIB sous peine de sanctions). Afin de pouvoir continuer à emprunter à des taux convenables sur les marchés ou bénéficier de tranches d’aides, la Grèce, le Portugal et l’Espagne ont dû mener des politiques d’austérité sans précédent. La péninsule ibérique est parvenue à relever la tête au prix d’un chômage de masse, d’une baisse des salaires et d’une forte émigration de sa jeunesse. La Grèce, quant à elle, continue de vivre au jour le jour et de voir sa situation se dégrader. Pas question pour l’Allemagne d’alléger son fardeau et encore moins de mutualiser la dette européenne même sous condition de contrôle budgétaire stricte.

La solidarité n’est pas de mise et ces pays doivent corriger leurs écarts dans l’optique de maintenir un euro fort qui arrange bien l’économie allemande dans la mesure où elle n’a pas besoin de compétitivité monétaire pour exporter ses productions haut de gamme. Malheureusement ce n’est pas le cas de nombreux Etats, notamment la France et l’Italie, dont les structures économiques ne parviennent pas à s’accommoder d’une monnaie trop forte. C’est ainsi que l’Allemagne affiche des excédents commerciaux pharaoniques alors que la France est dans le rouge et que l’Italie a réduit de manière drastique ses importations, signe d’une baisse d’activité. On ne peut blâmer l’Allemagne pour la vigueur de son économie mais pour qu’une zone monétaire soit optimale, des transferts doivent s’effectuer des pays excédentaires vers les pays déficitaires sans quoi la richesse ne se concentre que dans certains pays laissant les autres exsangues. Une nouvelle fois, Angela Merkel ne semble pas disposée à aller dans ce sens mais plutôt à thésauriser au maximum pour anticiper le vieillissement de sa population.

Sur la question des réfugiés, on ne peut pas non plus en vouloir à l’Allemagne d’avoir ouvert ses portes afin de pallier à une natalité en berne. Cependant, la chancelière n’a pas assumé sa politique unilatérale et s’est empressée de faire appel dans ce cas bien précis à la solidarité européenne qu’elle refuse sur d’autres sujets. La tentative d’imposer des quotas a eu des conséquences dramatiques dans les pays de l’est qui y ont vu un diktat, ont radicalisé leur discours et se sont renfermés sur eux-mêmes en construisant des murs. En outre, dès que le consensus sur l’accueil des migrants a commencé a vacillé dans l’opinion publique allemande, l’Italie et la Grèce se sont vues imposer de fait la gestion des nouveaux flux, le règlement de Dublin les obligeant à traiter les demandes d’asile en tant que premiers pays d’arrivée sur le sol européen. C’est par conséquent la double peine pour ces deux Etats qui doivent mener de front un assainissement de leurs finances publiques et l’accueil de milliers de réfugiés qui espéraient gagner l’Europe du nord mais se voient désormais bloqués aux périphéries du continent.

Angela Merkel peut se réjouir, elle est parvenue à façonner l’UE autour des intérêts allemands : quelques pays du nord bons élèves (Suède, Danemark, Pays-Bas, Autriche) bénéficient de sa politique, l’Europe de l’est est réservée aux délocalisations et à l’importation de travailleurs détachés bon marché qui gonflent encore la compétitivité allemande, l’Europe du sud « faignante » prend en charge les migrants, les touristes et les retraités tout en envoyant ses meilleurs éléments au nord pour des salaires défiants toute concurrence. La France, elle, reste indispensable diplomatiquement avec son siège permanent au conseil de sécurité des Nations Unies et militairement dans la guerre contre le terrorisme.

On comprend dès lors que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, affiche son pessimisme concernant l’avenir d’une Union qui est devenue tout sauf inclusive. On comprend également la rhétorique des partis populistes qui savent parfaitement que la situation actuelle ne peut qu’accroitre leur marche vers le pouvoir. Sauver l’UE impliquera nécessairement des changements importants dans son organisation qui n’a profité depuis la crise qu’à la partie septentrionale du continent. La question est de savoir si les allemands accepteront plus de solidarité. Mais comment persuader une opinion publique convaincue qu’elle doit ses succès avant tout à elle-même et dont la vision de ses voisins se résume souvent, comme ailleurs, à des images d’Epinal ? Il ne doit pas être aisé d’être la femme la plus puissante du monde dans cette période charnière.

Christophe Chabert

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1 Comment

  1. Ecrivain professionnel et indépendant depuis 1976, j’ai longuement étudié l’histoire des relations entre la France et l’Allemagne (ou la Prusse) depuis l’époque de Voltaire jusqu’à la nôtre.
    Je reprends actuellement cette question à travers une analyse de ce qui s’est passé au sein de l’économie européenne depuis 2011, et j’obtiens de très curieux résultats qui apparaissent peu à peu sous le lien que vous donne ci-dessous, et sous ceux qui s’enchaînent à lui.
    N’hésitez pas à prendre contact avec moi. Je vous répondrai avec plaisir.
    Cordialement,
    MJC

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