Une brève histoire des courants religieux de l’Islam
Le Pew Research Center estime le nombre de musulmans dans le monde à 1,8 milliard. Si cette religion est née au VIIe siècle après JC dans la péninsule arabique, seulement 20% des musulmans vivent aujourd’hui dans le monde arabe. Comme le christianisme, l’Islam n’est pas un tout homogène. Son histoire mouvementée a donné naissance à plusieurs branches dont les deux principales sont le sunnisme (90% des croyants) et le chiisme. Je vous propose ici un petit condensé d’histoire pour mieux appréhender les causes de cette séparation ainsi que les principaux éléments de divergence.
En 632, le prophète Mahomet (Muhammad) meurt sans laisser de fils ni de testament ce qui conduit à la première fitna (schisme) dans l’oumma, la communauté des croyants. Deux camps s’affrontent. D’un côté, les partisans des liens familiaux qui voit en Ali, genre et cousin du prophète, son héritier naturel. De l’autre, les partisans de la cooptation parmi les compagnons de Muhammad pour qui Abou Bakr est le successeur légitime. C’est ce dernier qui est finalement choisi pour devenir le premier calife.
En 656, le 3e calife, Othman est assassiné. Il avait confié les principaux postes de l’Etat aux membres de sa famille dont Mu’âwiya, le puissant gouverneur de la Syrie. Ali devient le 4e calife mais doit faire rapidement face à de fortes oppositions. Tout d’abord, d’Aïcha, veuve du prophète et fille d’Abu Bakr qui voulut regrouper autour d’elle les chefs célèbres de famille mekkoise des Quraych dont est issu le prophète. Ali les vainquit lors de la bataille du chameau. Il s’installe ensuite à Kufa en Irak. La famille d’Othman décide, conformément aux usages du Coran, de venger le défunt en poursuivant ses meurtriers. Du fait du contexte politique de l’époque, Ali s’est dit incapable d’appréhender les assassins. Les arabes de Syrie menés par Mu’âwiya et ceux d’Irak regroupés autour d’Ali s’opposèrent lors de la bataille de Siffin en 657. Suite à d’âpres combats, Ali accepte un arbitrage qui donnera raison à son adversaire en le désignant comme coupable. De retour en Irak, il est confronté à la révolte de ceux qui avait rejeté cette solution, les Kharidjites (littéralement « ceux qui sortent ») qui l’assassinent en 661. Mu’âwiya, qui avait étendu son autorité sur l’Arabie et l’Egypte, devient le nouveau calife et fonde la dynastie des Omeyyades. En 680, son fils, Yazid 1er, devient calife à son tour. Le second fils d’Ali, Hussein, refuse de lui prêter allégeance. Il est décapité la même année lors du siège de Kerbala. Le martyr d’Hussein est depuis commémoré chaque année par les chiites lors de l’Achoura.
680 marque donc la rupture définitive entre les partisans des Omeyyades (futurs sunnites) et ceux d’Ali (futurs chiites). Les deux courants vont se structurer sur les siècles suivants.
La charia, voie indiquée par Dieu pour le salut des hommes (ou loi islamique) est élaborée à partir du Coran et des hadiths qui sont les paroles, actes et sentences attribués au prophète. Elle détermine la SUNNA, la règle de conduite. Pour combler les lacunes juridiques du Coran sur les questions nouvelles ou complexes, un effort de réflexion (l’ijtihad) est nécessaire afin de déduire les FIQH, ensemble codifiés de règles que l’on peut assimiler à une jurisprudence islamique et qui permettent d’informer les fidèles sur la nature de leurs actions.
Il existe plusieurs écoles juridiques de fiqh appelées madhhab, tant dans la branche du sunnisme que dans celle du chiisme. Ces écoles prennent généralement le nom du juriste qui les a fondées. Elles sont unanimes sur le fondement de la croyance mais diffèrent sur les hadiths qu’elles acceptent comme authentiques et sur le poids relatif attribué aux analogies et à l’opinion personnelle pour trancher les cas difficiles.
Côté sunnite, on compte 4 grandes écoles. L’école Hanafite nait en 765. Il s’agit de la plus libérale à l’origine. Elle se rangera peu à peu du côté de la tradition prônée par les trois autres écoles à des degrés plus ou moins strictes. Les écoles malikites et chaféites apparaissent respectivement en 795 et 820. En 827, le calife Al-Ma’mûn adopte la doctrine rationaliste des mutazilistes pour qui le Coran a été crée par l’homme et non par dieu. Le mutazilisme met en avant le libre arbitre et place l’amour ainsi que l’ascétisme au centre de la recherche spirituelle de l’être humain. Il rejette tout dogmatisme religieux. Ahmad Ibn Hanbal s’y opposa en défendant une lecture rigoriste des textes sacrés. Il est aujourd’hui considéré comme le père du sunnisme. Le wahhabisme, actuellement forme officielle de l’Islam en Arabie Saoudite, est un mouvement directement issu de l’école Hanbalite.
Au Xe siècle, l’ijtihad, l’effort d’interprétation, est figé. Le sunnisme se considère dès lors comme l’aboutissement du monothéisme. Les sunnites, « les gens de la tradition et du consensus », reconnaissent les 4 premiers califes, « les bien guidés ». Pour eux, l’imam est un pasteur qui a un rôle d’orientation et de conseil. Il n’existe pas d’intermédiaire entre Dieu et les croyants qui peuvent accéder directement au message divin en se référant au Coran et aux hadiths.
Les partisans d’Ali vont pratiquer la TAQIYA, l’art de la dissimulation. Ils se développent de façon clandestine et s’isolent souvent dans les marches du califat. Ils considèrent les trois premiers califes comme des usurpateurs et croient dans l’imamat, une succession d’imams issus de la famille d’Ali et qui tirent leur autorité directement de Dieu. Les différentes branches et écoles du chiisme vont naitre de querelles internes sur la succession de ces imams. En 711, les zaydites décident de suivre Zayd Ibn Ali après la mort du 4e imam et non pas son frère et successeur désigné. Zayd est pour eux le 5e et dernier imam. Cette branche se retrouve aujourd’hui au Yémen. En 765, le 6e Imam, Ja’far al-Sâdiq, est empoisonné. L’imamat aurait dû revenir à son fils Ismaïl mais ce dernier est décédé avant son père. Les Ismaéliens (ou septimains) le déclarent « occulté » et fondent une nouvelle branche qui sera celle de la dynastie des Fatimides ainsi que des Druzes. En 874, le 11e imam, Hasan al-Askari meurt. Les duodécimains ou imamites décrètent qu’il a eu un fils nommé Muhammad mais qu’il est caché. Baptisé le Mahdi, « celui qui montre le chemin », il réapparaitra à la fin des temps. Cela permit d’éviter de nouveaux morcellements dans le chiisme. Les duodécimains sont aujourd’hui majoritaires en Iran.
Les chiites ne reconnaissent pas l’autorité du calife, seulement celle des imams qui descendent du prophète et dont Ali est le premier représentant. L’imam a une dimension divine, il est infaillible et seul capable de comprendre le sens caché des textes. C’est l’intermédiaire entre Dieu et les croyants. Sans lui, le Coran reste muet. Contrairement aux sunnites, les chiites n’ont jamais arrêté l’Ijtihad, l’effort d’interprétation. Selon eux, le cours des choses ne sera figé qu’au retour du Mahdi. En attendant, le guide prend en charge la communauté mais de façon temporaire, sa légitimité étant soumise à l’examen d’un clergé très structuré, séparé du pouvoir politique.
En plus du sunnisme et du chiisme, il important de citer le courant ibadite, majoritaire aujourd’hui au Sultanat d’Oman et qui est issu du kharidjisme.
A la fin de la dynastie Omeyyades en 750, le califat s’étend de l’Atlantique aux confins de l’Asie centrale. L’arabe va se diffuser progressivement auprès des populations locales dans la mesure où elle devient la langue administrative. Certaines contrées comme la Perse et le Khorasan parviendront néanmoins à conserver leurs langues d’origine indo-européenne. Sous la dynastie des Abbassides (750-1260), on assiste peu à peu au déclin du pouvoir califal avec les invasions de peuples turciques venus d’Asie centrale dont les Seldjoukides qui s’emparent au XIe siècle de l’Anatolie, de la Mésopotamie et de la Perse. Les invasions mongoles du XIIIe siècle achève le califat avec la prise de Bagdad en 1258. S’en suit la longue ascension de l’Empire Ottoman, héritier des Seldjoukides, qui va étendre son contrôle sur une grande partie de l’ancien califat arabe du XIVe au XXe siècle. Son principal rival devient rapidement la Perse où la dynastie des Safavides prend le pouvoir en 1501 et fera du chiisme duodécimain la religion d’Etat face à l’Empire Ottoman sunnite. Les Ottomans et les Safavides (remplacés par les Qâdjârs à la fin du XVIIIe siècle) parviendront à se maintenir jusqu’aux années 1920.
Ce n’est qu’à l’époque moderne que les conflits opposant les sunnites et les chiites vont apparaître. Auparavant, les guerres opposaient davantage des souverains que des croyances. Des deux côtés, les minorités étaient rarement prises pour cible.
Suite à la révolution iranienne de 1979, l’ayatollah Khomeini eut la volonté de prendre la tête de l’ensemble de l’oumma, la communauté des fidèles. Il voyait l’Iran comme le socle d’un mouvement islamique mondial. En réponse, les saoudiens vont progressivement développer un prosélytisme propre pour imposer leur vision rigoriste. Durant la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, Saddam Hussein ne cessera d’entretenir une propagande anti-iranienne et anti-chiite alors que plus de la moitié des irakiens sont eux-mêmes chiites. De nos jours, les deux courants principaux de l’Islam sont mis dos à dos et instrumentalisés à des fins politiques.
© Christophe Chabert
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