Depuis des temps ancestraux, les êtres humains sont captivés par l’opposition entre le bien et le mal, illustrée dans les légendes, les mythes, la littérature, les arts plastiques, le cinéma etc. Elle est aujourd’hui utilisée par la plupart des médias pour comparer le démoniaque président américain Donald Trump à l’angélique premier ministre canadien Justin Trudeau. Car tout semble en effet les distinguer ! D’un côté, un milliardaire septuagénaire bafouant toutes les règles du protocole, adepte des phrases chocs, du clivage et abusant de la terra cotta, de l’autre, un playboy quadragénaire qui s’apparente au gendre parfait avec un discours et des idées humanistes tels qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Si l’on peut reconnaître le mérite à Monsieur Trudeau de ne pas attiser les haines, il serait naïf de l’assimiler à la blanche colombe. Il demeure un homme politique de premier plan sachant manier à la perfection les leviers en sa possession pour leurrer les masses. Mais à la différence de Trump qui assume de manipuler sa population ouvertement, Trudeau est plus ambigu. Ce sont finalement deux stratégies opportunistes qui s’opposent.

Le président américain a fait le choix de jouer sur les peurs et les bas instincts. Chaque semaine, nous avons désormais le droit à des prises de parole où le mensonge est monnaie courante comme l’annonce d’un attentat en Suède qui n’a jamais eu lieu. Trump sait qu’en inondant la sphère médiatique tout ne pourra pas être démenti et qu’une majorité des citoyens ne se donnera jamais la peine de vérifier quoi que ce soit. Il a très bien compris que la mémoire humaine est faillible : noyée sous un flot incessant d’informations qui seront réfutées par les uns, approuvées par les autres, le cerveau finit par tout mélanger et retenir ce qui l’arrange, le rassure, souvent de manière inconsciente. Face à des élites coincées, qui donnent le sentiment de cacher leurs vrais visages sous une bienséance d’apparat, il dénote et apparait plus honnête à une partie de la population qui s’identifie à lui. Il exploite parfaitement les faiblesses d’humains désillusionnés, sous antidépresseurs qui ont besoin de sensations fortes et de divertissements pour oublier une routine qui les cantonne au rôle de main d’œuvre et de consommateurs aveugles.  Le président réserve à ceux qui voient clair dans son jeu insultes, dénigrements, diffamations et autres stratagèmes qui contribuent à semer le doute. En face, presque personne n’ose, par respect de soi-même ou par peur de trop s’exposer, lui rendre la pareille si bien que Trump apparait comme l’homme fort et viril dont l’effronterie romanesque triomphe sur la lâcheté de l’intelligentsia. Il est remarquable de constater que ce ne sont pas uniquement les fameux « white trash » (blancs américains déclassés) qui ont voté pour lui mais également un bon nombre de personnes aisées désirant pimenter leurs vies confortables devenues sans doute trop ennuyeuses.

Justin Trudeau se situe à l’opposé de cette stratégie. Usant de son charme et de sa photogénie, le chouchou de la presse s’est lancé corps et âme dans une entreprise de communication bien rôdée après son élection en novembre 2015. On l’a vu se mettre en scène auprès des populations autochtones, auprès de la communauté LGBT lors de la marche des fiertés à Toronto et plus récemment en hôte d’accueil des réfugiés arrivant de Syrie. A grand coup de selfies, affichant son plus beau sourire dans des tenues décontractés, le premier ministre canadien s’est construit une image d’ange-gardien de la diversité, de défenseur des droits de l’Homme et de « progressiste ». Les vidéos et images de cet homme parfait ont été publiées et relayées des millions de fois sur les réseaux sociaux qui en ont vite fait le porte-drapeau des aspirations nouvelles d’une humanité en mal de changements. Mais les apparences sont trompeuses et il demeure un politicien bien banal quand on se donne la peine de regarder sous le vernis de la communication. Apôtre du libre-échange, Monsieur Trudeau n’est pas prêt à remettre en cause les milieux d’affaires aux activités controversées. L’exploitation des gaz de schistes qui détruisent les terres indiennes, polluent les nappes phréatiques et déciment les forêts est fortement encouragée, le projet d’oléoduc géant Keystone XL entre les Etats-Unis et le Canada devant même être relancé suite à la rencontre de Trudeau avec le président américain. Les activités minières des firmes canadiennes en Afrique et particulièrement en République démocratique du Congo où les enfants constituent la principale source de main d’œuvre ne semblent pas déranger notre chevalier blanc tout comme la deuxième place du Canada pour l’exportation d’armes vers les pays du Moyen-Orient. Une partie des citoyens commencent à comprendre que le premier ministre n’est pas vraiment de gauche et que son discours anti-austérité pré-électoral était un leurre. L’objectif est bien, comme dans de nombreux pays, de réduire les protections des travailleurs pour apporter plus de compétitivité aux entreprises qui en échange sont censées investir mais sans obligation formelle.

Comparer Trudeau et Trump à l’ange et au démon permet donc de vendre du papier en utilisant l’opposition classique entre le bien et le mal. Cela permet également aux plus naïfs de croire qu’il existe un sauveur providentiel en ces temps troubles. En réalité, le Premier ministre canadien est le garant, comme pourrait l’être Emmanuel Macron, du maintien du système actuel en ajoutant une petite touche de jeunesse dont l’objectif est de donner l’illusion du renouveau tant attendu. S’il faut reconnaître la dangerosité du président américain capable de tout remettre en cause pour inscrire son nom dans l’Histoire, la stratégie de la séduction et des belles émotions éphémères ne pourra pas masquer éternellement les aspirations des sociétés pour une redéfinition profonde de leur rapport au monde.

Christophe Chabert