La campagne présidentielle française est désormais lancée et devrait procurer aux citoyens ainsi qu’aux observateurs internationaux un grand moment de divertissement entre tragédie grecque et commedia dell’arte. Les Primaires des différents partis classiques ont déjoué tous les pronostics des grandes agences d’opinion et de leurs représentants hyper-médiatisés en éliminant Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Cécile Duflot pourtant si confiants dans leur avenir politique il y a quelques mois. On pensait qu’une fois passées ces élections internes les débats de fond opposant les projets des uns et des autres dans une logique de clivage avant rassemblement débuteraient. Au lieu de cela, ce sont les « affaires » et les vendettas qui ont pris le dessus, continuant à fragiliser une sphère politique traditionnelle déjà éprouvée et alimentant le dégout d’électeurs chaque jour plus nombreux à considérer de nouvelles options.

A droite, les Républicains et l’UDI étaient parvenus à se rassembler autour de la candidature ultralibérale de François Fillon. Rien ne semblait pouvoir faire obstacle à l’ancien Premier ministre tant la victoire des urnes fut nette. Le palais de l’Elysée mais également la revanche sur Sarkozy et Copé paraissaient à portée de mains. C’était sans compter sur les cadavres dans le placard qui, n’en déplaise à l’intéressé, ressortent souvent dans les périodes de campagne. Quelles que soient les conclusions de l’enquête judiciaire sur les supposés emplois fictifs de Madame Fillon, l’image de l’homme au-dessus de tout soupçon restera ébranlée par les révélations du Canard Enchaîné si bien que l’on envisage même un « plan B » dans les rangs du parti. Les principaux ténors ont notamment déjà réservé leur nom de domaine en cas de désistement.

A gauche, la victoire de Benoit Hamon a immédiatement entraîné un mouvement sécessionniste de la part de l’aile droite « réformiste » du parti socialiste. Son projet audacieux, de long-terme et en rupture avec le modèle social-démocrate libéral du pouvoir en place est taxé d’utopiste face aux « devoirs qu’imposent les responsabilités ». Les frondeurs d’hier sont aujourd’hui confrontés au « droit de retrait » invoqué par une partie des députés socialistes qui ne désirent qu’une chose : quitter le navire pendant qu’il en est encore temps, avec pour objectif de ne pas perdre leurs confortables sièges à l’Assemblée Nationale. La belle alliance populaire n’a pas attendu une semaine pour se transformer en un « courage fuyons » qui pourrait (enfin) donner lieu au grand schisme des gauches.

En face, Emmanuel Macron attend son heure en embuscade. Le jeune et plantureux ex-banquier d’affaires de Rothschild a su jouer de ses charmes et des couvertures de la presse people pour faire oublier son passage au Ministère de l’Economie et aux abattoirs bretons GAD (affaire des femmes illettrées). Son mouvement En Marche ne cesse de rallier de nouvelles personnalités qui ne furent parfois pas tendres à son égard. Bien que les déboires des deux grands partis ne puissent que le réjouir, un risque persiste : se convertir en aimant à opportunistes qui viendrait briser son aura galopante de jeune apôtre du renouveau politique dans le pays. Le PS ne manquera pas de lui rappeler qu’il détient une part de responsabilité dans le bilan du quinquennat de François Hollande quand Les Républicains l’accuseront de reprendre leurs idées à son compte. Sans programme précis pour le moment, Macron demeure l’objet de tous les fantasmes. Affaire à suivre.

Restent les deux candidats des extrêmes qui disposent d’une base de sympathisants stables : Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise et Marine Le Pen du Rassemblement Bleu Marine. Ils pourraient être les deux principaux bénéficiaires d’une campagne présidentielle focalisée sur les règlements de compte, les luttes intestines et les affaires judiciaires. Leurs campagnes respectives ont démarré depuis plus longtemps, leurs rangs sont resserrés et la constance de leurs idées leur offre un avantage pour séduire des électeurs désillusionnés. Ceux de la gauche du PS pourraient être tentés de voter Mélenchon estimant Hamon perdu d’avance. La même logique favoriserait Marine Le Pen si les électeurs conservateurs de droite n’étaient pas certains de voir passer leur candidat au second tour. Quant à Macron, il devra tôt ou tard justifier ses accointances avec le monde financier et son passage au gouvernement : du pain béni pour ces habitués de la politique.

A moins de trois mois du premier tour, rien n’est joué. Les élections aux Etats-Unis et le référendum britannique nous ont appris une chose : les scénarios les plus improbables peuvent se réaliser. Espérons que la France ne permette pas de confirmer l’expression « jamais deux sans trois ».

Christophe Chabert