1972 – 1982 : Création et traversée du désert

Contrairement à ce que l’on croit, l’histoire du Front National ne commence pas avec Jean-Marie le Pen. Pour comprendre il faut remonter à 1969, date de la création d’Ordre Nouveau. Ce mouvement politique français nationaliste d’extrême droite associé au courant néofasciste va être le véritable créateur du parti en octobre 1972 afin de répondre à un double objectif :

  1. rassembler les forces d’extrême droite du pays (anciens poujadistes*, pétainistes, néo-nazies, nostalgiques de l’Algérie française)
  2. passer de l’activisme à un mode d’action légaliste en se constituant une vitrine électorale

Après le refus de Dominique Venner et de Jacques Susini (fondateur historique de l’OAS) de prendre la présidence du nouveau parti, Jean Marie Le Pen (JMLP) est choisi pour ses capacités à incarner une caution légale. Le logo adopté (la flamme tricolore) est une copie de celui du Movimento Sociale Italiano (MSI) crée en 1946 par des proches de Mussolini. Le MSI deviendra même le premier imprimeur du FN qui manquait alors de moyens.

Dès sa création, le FN est confronté à une lutte idéologique en son sein entre le nationalisme révolutionnaire d’Ordre Nouveau qui prône un fort interventionnisme de l’Etat et les « Lepénistes » (principalement d’anciens poujadistes et déçus de la décolonisation) qui souhaitent la défense des intérêts corporatistes ainsi qu’une réduction massive du rôle des institutions.

1973 marque la reprise de l’action militante d’Ordre Nouveau. Le 21 juin, suite à une réunion publique tenue à la Mutualité sur le thème « Halte à l’immigration sauvage », de violents affrontements éclatent entre les forces de l’ordre et les militants de la Ligue communiste d’Alain Krivine qui saccagent le siège du mouvement nationaliste. Bien que n’ayant pas participé aux heurts, Ordre Nouveau est dissout le 28 juin par le pouvoir.

Alain Robert et les cadres d’Ordre Nouveau tentent alors de récupérer le FN mais échouent face à la ténacité de Jean-Marie Le Pen qui parvient à s’emparer du bureau politique du parti. S’en suit une première scission avec la création du Parti des forces nouvelles, principal concurrent du FN dans les années 70.

JMLP se retrouve à la tête d’un parti endetté, amputé d’une grande partie de sa base militante et qui ne décolle pas. En 1974, il ne récolte que 0,75% des voix à l’élection présidentielle mais apparaît comme le chef de file de l’extrême droite. En 1978, François Duprat, secrétaire général du parti est assassiné et les législatives sont un nouvel échec (3% des voix). A l’été 1979, JMLP part en vacances en Grèce laissant craindre d’abandonner un parti à l’agonie financièrement et dans les sondages. Une séance extraordinaire est néanmoins convoquée à la rentrée avec les membres du comité central qui permet de donner un second souffle au FN et de poser ses fondements pour l’avenir (réorganisation des instances dirigeantes, augmentation des cotisations, formation politique des militants). 1981 voit une nouvelle déconvenue, JLMP ne parvenant pas à réunir les parrainages nécessaires pour l’élection présidentielle.

 

1982 – 2001 : Décollage, consolidation et vendetta

Les premiers succès interviennent à partir de 1982 sous l’effet de deux facteurs :

  1. la droite républicaine se retrouve désorientée par la défaite de 1981
  2. le début de la crise dans les grands centres urbains liée à la montée de l’insécurité et l’augmentation du chômage

Lors des élections municipales de 1983 à Dreux, la droite s’allie au FN et lui offre une magnifique occasion d’entrer dans l’arène politique. L’année suivant, le parti obtient 10 élus aux élections européennes puis 35 députés à l’Assemblée Nationale lors des législatives de 1986 (scrutin proportionnel pour la première fois lors de ces élections). Le dérapage de 1987 sur les chambres à gaz, « point de détail de l’Histoire » n’empêche pas JMLP d’obtenir 14,38% des voix à la présidentielles de 1988.

 

Les années 1990, marquée par une très forte augmentation du chômage en France, constituent une période de consolidation du FN dans le paysage politique français. Une nouvelle rhétorique est mise en avant à côté des discours traditionnels identitaires : la dénonciation de la corruption des grands partis républicains afin d’en attirer les déçus.

Le FN dépasse désormais systématiquement la barre des 10% des suffrages exprimés :

  • 13,72% aux régionales de 1992
  • 12,47% aux premier tour des législatives de 1993
  • 10,52% aux européennes de 1994
  • 15% à la présidentielle de 1995
  • 14,94% au premier tour des législatives de 1997
  • 14,94% aux régionales 1998

Ils remportent par ailleurs les mairies de Toulon, Orange et Marignane en 1995 puis celle de Vitrolles en 1997.

Un incident va pourtant plonger le parti dans une nouvelle crise. Lors du conseil national du FN en décembre 1998, JMLP est hué par les partisans de Bruno Mégret pour avoir suspendu deux de ses proches. Mégret est vu par une partie des cadres comme plus consensuel et plus disposé à nouer des alliances avec la droite. Refusant tout compromis, JMLP qualifie Mégret de « félon ». Ce dernier organise en 1999 un congrès national dissident qui voit la création du MNR : Mouvement national républicain. Aux européennes de 1999, le FN réalise l’un de ses pires scores (5,69%).

 

2002 – 2011 : Coup de théâtre avorté

Les médias considèrent alors JMLP comme fini jusqu’au coup de théâtre de 2002 où il parvient à se qualifier pour le second tour de la présidentielle devant Lionel Jospin avec 16,86% des voix (Mégret => 2,35%).

En 2003, Marine Le Pen devient vice-présidente.

Alors que Bruno Mégret se rallie à JMLP en vue de la présidentielle de 2007, une grande partie des électeurs du FN se tournent vers Nicolas Sarkozy, séduits par son discours de droite dure reprenant à son compte les thématiques frontistes de toujours (identité, immigration, sécurité).

Le parti plonge dans une longue descente aux enfers accumulant mauvais scores aux élections (10,44% à la présidentielle de 2007, 4,29% au premier tour des législatives de 2007, 0,08% au deuxième tour, 6,34% aux européennes de 2009), d’importants problèmes financiers (la dette de 8 millions d’euros force le parti à vendre son siège de Saint Cloud, les adhérents passent de 42000 en 1998 à moins de 13000 en 2009), une concurrence forte du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers et une cascades de défections en son sein.

 

2011 – 2017 : Succession, dédiabolisation, premier parti de France

C’est très certainement l’intensité et la durée de la crise de 2008, la déception de l’opinion face à l’inertie des partis traditionnels ainsi que le passage de flambeau à Marine Le Pen en janvier 2011 qui vont permettre au FN de renaître une nouvelle fois. Poursuivant sa stratégie de normalisation et de dédiabolisation du parti, cette dernière réussit à attirer un nombre croissant de nouveaux adhérents. Les résultats électoraux dépassent toutes les attentes :

  • 17,9% au premier tour de la présidentielle de 2012
  • Retour des députés frontistes à l’Assemblée Nationale (Gilbert Collard et Marion Maréchal Le Pen)
  • 24,86% des voix aux européennes de 2014 avec 24 sièges sur 74 soit le premier parti de France à Bruxelles
  • 11 mairies gagnées aux municipales de 2014 (Hénin Beaumont, Bézier, Beaucaire, Villers Cotterets, Mantes la ville, Le Luc, Cogolin, Fréjus, Hayange, Le pontet, 7e secteur de Marseille) + 3 villes pour la Ligue du Sud affiliée au FN (Orange, Bollène, Camaret-sur-Aigues)
  • 2 élus aux sénatoriales de 2014 (Stéphane Ravier et David Rachline) pour la première fois de l’histoire
  • 6 millions puis 6,8 millions de voix aux deux tours des régionales de 2015
  • 62 conseillers et 5,1 millions de voix aux départementales de 2015 (de 1988 à 2011, le FN avait obtenu un total cumulé de 11 conseillers)

L’exclusion de JMLP en avril 2015 laisse Marine Le Pen seule aux commandes et enfin libérée de l’image négative de son père. Place désormais à l’élection présidentielle d’avril 2017 où tous les sondages la placent en tête du premier tour.

Nombre de commentateurs politiques estiment qu’elle ne parviendra pas à réunir plus de 50% des suffrages exprimés lors du deuxième tour du fait du fameux « plafond de verre ». D’autres voix, s’inspirant du référendum britannique sur la sortie de l’Union européenne et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, pensent désormais que tout est possible. Certaines sociétés de paris en ligne la donnent même gagnante…

A l’heure actuelle, tous les scénarios semblent par conséquent ouverts. Le taux d’abstention qui pourrait défier toute concurrence sera sans doute la clé de ce scrutin à haut risque.

 

Christophe Chabert

 

Note :

Poujadistes : du nom de Pierre Poujade, est un mouvement politique et syndical français apparu en 1953 dans le Lot et qui a disparu en 1958. Ce mouvement revendiquait la défense des commerçants et des artisans, qu’il considérait comme mis en danger par le développement des grandes surfaces dans la France de l’après-guerre, et condamnait l’inefficacité du parlementarisme tel que pratiqué sous la Quatrième République.