Longtemps séparées par un mur physique et idéologique, l’Europe occidentale et l’Europe de l’est ont saisi la chance offerte par la chute de l’URSS pour opérer un rapprochement rapide. Les deux anciens blocs vont vivre une véritable lune de miel marquée par les élargissements de 2004 et 2007 et un arrimage progressif des nouveaux arrivants à l’Alliance atlantique (dès 1999 pour la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie). L’Union européenne apparait alors comme profitable à tous : les pays de l’est bénéficient d’importants transferts de fonds afin d’accompagner la modernisation de leurs économies post-soviétiques quand l’Europe de l’ouest profite d’une main d’œuvre à bas couts pour ses délocalisations ainsi que de nouveaux marchés pour ses productions. Cette dernière accepte également d’assumer une partie du chômage des états orientaux par leur adhésion à l’espace Schengen. Plus de deux millions de polonais ont ainsi émigré vers le Royaume-Uni.

Cette période de grâce prend fin à partir de 2008. L’intervention décidée par Vladimir Poutine en Géorgie sonne le glas de l’effacement international de la Russie entraînant un retour des craintes des pays d’Europe de l’est. Ces craintes sont en partie alimentées par les hésitations des occidentaux sur la manière de traiter avec la Russie et par la mémoire douloureuse des alliances trahies par le passé (abandon de la Pologne à l’URSS en 1945). En outre, la crise des dettes souveraines, en particulier en Grèce, a démontré la fragilité de l’édifice européen et donné une image négative de l’UE, force « technocratique » pouvant mettre la main sur la souveraineté de ses membres. Cette double peur d’un retour des velléités russes et d’un transfert de pouvoirs trop fort aux institutions européennes peuvent expliquer la radicalisation des positions de certains pays orientaux.

Et les événements qui ont suivi n’ont fait que renforcer les divergences entre les deux Europe. La guerre civile ukrainienne et l’annexion de la Crimée ont mis en avant l’incapacité pour les européens de trouver une position commune : l’Europe de l’est semble prête à la rupture avec la Russie quand la partie occidentale tente de faire preuve de plus de diplomatie sans grand succès. En parallèle, la crise migratoire issue des conflits au Moyen-Orient a fait surgir des lignes de fracture encore plus profondes. L’Europe de l’est, blanche et chrétienne, refuse le modèle multiculturel et laïc de l’Europe occidentale. Cette rhétorique est reprise par les partis conservateurs et/ou populistes qui continuent de jouer sur la peur de la grande invasion pour rejeter tous les quotas de répartition des réfugiés. La Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie, réunies au sein du groupe de Višegrad, font bloc commun à Bruxelles pour faire entendre leur voix et défier ce qu’il qualifie de « pensée unique ».

L’année 2016 n’aura pas été celle d’une plus grande unité. La décision du Royaume-Uni de quitter l’UE le 23 juin dernier a aggravé une situation déjà délicate. Perdant l’un de leurs plus fidèles alliés à Bruxelles, les pays de l’est pourraient être tentés de jouer davantage la carte du souverainisme plutôt que de l’intégration. Le choix de la Pologne de se fournir en hélicoptères de combat auprès de l’américain Lockheed Martin plutôt que d’Airbus est pleine de symboles. Elle démontre la volonté du PiS, parti au pouvoir, d’envoyer un message clair d’indépendance à l’UE. Viktor Orbán a utilisé la même stratégie en Hongrie avec son référendum manqué contre l’accueil des migrants. Alors qu’une partie de l’Europe de l’est penche en faveur des conservateurs de droite, des partis pro-russes ont remporté récemment les élections en Bulgarie, membre de l’UE, et en Moldavie ce qui laisse présager d’autres difficultés dans la recherche de consensus à l’échelle européenne.

La période post-URSS d’hyperpuissance américaine, de triomphe de l’économie de marché et de croissance soutenue ont masqué un temps l’ampleur du défi que représente la convergence de l’Europe de l’est et de l’Europe de l’ouest. La situation actuelle est préoccupante d’autant plus que l’Union a perdu l’un de ses membres les plus charismatiques. Les nationalismes souverainistes gagnent de plus en plus de voix face à des institutions européennes languissantes et ce malgré un rattrapage économique indéniable de la partie orientale. L’Union se retrouve à la croisée des chemins, désormais consciente de la nécessité d’un nouveau souffle politique pour assurer sa pérennité. Les peurs des pays de l’est devront être comprises et assimilées sans quoi un nouveau schisme pourrait avoir lieu avec son lot d’incertitudes. Les divisions sont d’autant plus dangereuses pour le continent européen que plusieurs de ses puissants voisins y ont tout à gagner. Le temps des grandes décisions engageantes et assumées semble tout proche.

Christophe Chabert