Pas de répit pour le nouveau président français Emmanuel Macron ! A peine élu, une première manifestation a été organisée place de la République à l’appel du collectif « Front Social » qui entend bloquer toute nouvelle loi de flexibilisation du marché du travail. Outre-Rhin, la chancelière allemande Angel Merkel n’a pas manqué de rappeler, après de brèves félicitations protocolaires, que la France devrait s’engager dans des réformes profondes avant que toute réorientation de la politique européenne soit éventuellement abordée. Le second volet de la loi travail semble donc être la condition nécessaire pour espérer pouvoir de nouveau négocier avec notre puissant voisin. Mais la tâche s’avèrera rude face aux divisions du pays. La moralisation de la vie politique ne constituera pas un gage suffisant pour calmer la volonté de certaines franges insoumises d’en découdre quoi qu’il advienne et l’utilisation des ordonnances présidentielles ne ferait que jeter de l’huile sur le feu. Faut-il dès lors en conclure que notre pays est condamné à l’inertie ? Avec le programme actuel, il n’en fait aucun doute tant les contreparties à la flexibilisation sont maigres pour une majorité de la population.

    Le programme de la République en marche est en effet ambitieux : réforme de l’assurance chômage qui doit permettre de suspendre les allocations après deux refus de postes adaptés aux qualifications ou des recherches jugées non assidues, inversion de la hiérarchie des normes dans la négociation salariale pour donner une place prépondérante aux accords sociaux dans l’entreprise ou la branche plutôt qu’aux niveaux interprofessionnel et national, plafonnement des prud’hommes, fin des régimes spéciaux des retraites, transformation de l’ISF pour ne taxer que les biens immobiliers (et plus les actions, parts et titres d’entreprises), augmentation de la CSG de 1,7 points. En contrepartie, la taxe d’habitation sera supprimée pour 80% des ménages, les cotisations salariales maladie et chômage devraient disparaître (elles représentent respectivement 0,75% et 2,4% d’un salaire brut), les entreprises bénéficieront d’un droit à l’erreur dans leurs démarches administratives et les droits au chômage seront ouverts aux indépendants et démissionnaires. Pas de quoi réjouir les « partenaires sociaux » qui semblent avoir décidé d’aller au bras de fer avant même qu’une quelconque négociation ne soit ouverte.

    Cette situation est loin d’être inédite mais semble cette fois-ci plus périlleuse étant donnée la fracturation politique du pays. Rappelons que près d’un électeur sur deux a voté pour un candidat antimondialiste et antilibéral lors du premier tour de l’élection. C’est une grande partie de ces électeurs que le nouveau président et le futur gouvernement vont devoir convaincre s’ils ne veulent pas les retrouver dans la rue dans les prochains mois. Malheureusement, il n’existe pas de recette miracle. On ne pourra compter que sur le courage et la volonté politique de la nouvelle équipe au pouvoir pour dégager des compromis structurants. Les contreparties devront aller bien au-delà de celles citées précédemment pour faire passer la pilule des réformes souhaitées par l’exécutif. Nous pouvons en citer quatre : l’augmentation conséquente du salaire minimum, la séparation des activités de dépôts et d’investissement des banques qui ne seraient plus en mesure de spéculer avec l’épargne des citoyens et ne bénéficieraient plus de la garantie de l’Etat (en cas de crise, ce sont les actionnaires qui payent l’addition, en cas de faillite, l’impact est très limité sur l’économie réelle), la lutte acharnée contre l’évasion et l’optimisation fiscales des grands groupes (le chiffre d’affaires réalisé en France est intégralement taxable en France) et l’obligation pour les entreprises employant des travailleurs détachés de payer les cotisations salariales françaises. Ce bouquet de mesures aurait l’avantage de ne pas focaliser les efforts sur les seuls travailleurs qui seraient alors plus enclins à accepter une politique de rupture.

    Il est encore trop tôt pour savoir si Emmanuel Macron choisira d’affronter la rue et de passer les lois en force ou s’il fera preuve de courage en demandant à l’ensemble des acteurs de se mettre au diapason. Dans l’état actuel des choses, le programme qu’il porte semble vouloir mettre en marche une partie seulement du pays (salariés et fonctionnaires) laissant sans réponse la majeure partie des problèmes soulevés par le vote des extrêmes lors de la campagne (peur de la mondialisation, moralisation du secteur financier, dumping déloyal etc.). Souhaitons à notre ténébreux président de parvenir à transformer la France aussi rapidement qu’il a accédé à la fonction suprême. Cinq ans pour inscrire positivement son nom dans l’Histoire ou poursuivre l’entreprise léthargique de ses prédécesseurs.

    Christophe Chabert